Johanna Fischer, chercheuse CNRS au laboratoire SPINTEC a reçu le Prix Jeune Scientifique 2025 de l’EMA
Le Prix du Jeune Scientifique 2025 de l’European Magnetism Association (EMA) a été décerné à Johanna Fischer, chercheuse CNRS au sein du laboratoire SPINTEC à Grenoble. Entre Munich et Grenoble, son parcours témoigne d’une curiosité sans limite et d’une conviction forte : la recherche doit être rigoureuse, collaborative et ancrée dans le réel. À l’occasion d’un échange mené dans le cadre du Programme de Recherche SPIN, elle revient sur son parcours, ses projets et sa vision de la spintronique
Johanna Fischer n’a pas choisi la science par hasard. Derrière son parcours, c’est avant tout une histoire de curiosité et d’ouverture. Originaire d’Allemagne, elle découvre la physique à Munich, puis se laisse séduire par la recherche expérimentale. Très vite, un stage en France va changer la trajectoire de sa carrière.
Je voulais venir en France, pas forcément à Paris – il n’y a pas de montagne à Paris.
C’est au Laboratoire Albert Fert qu’elle fait ses premiers pas, grâce à une opportunité Erasmus+. Elle y apprend les manipulations, la rigueur et la patience de l’expérimentateur. Sa rencontre avec Manuel Bibes, chercheur reconnu en spintronique, sera décisive. À la fin de ce stage, une porte s’ouvre : celle d’une thèse en France.
De l’Allemagne à Grenoble : un parcours sans frontières
Après un Master 2 à Munich, où elle a consacré ses recherches aux matériaux antiferromagnétiques, elle s’est intéressée à ces systèmes intrigants dont l’aimantation s’annule à l’échelle macroscopique. Contrairement aux aimants classiques, les moments magnétiques y s’alignent en sens opposés, créant un équilibre subtil entre deux sous-réseaux en interaction.
Pour mieux comprendre cet ordre magnétique invisible, elle a réalisé des mesures électriques sous champ magnétique externe, cherchant à observer comment la structure interne de ces matériaux réagit et se réorganise. Ce travail a permis de mettre en lumière les liens étroits entre les propriétés électriques et magnétiques de ces composés.
Puis direction sa thèse où elle avait changé de matériau pour un matériau qui est antiferromagnétiques et en plus ferroelectrique.
C’est un peu comme si on mettait ensemble de petits aimants et des briques de Lego : en changeant la base sur laquelle on construit, on modifie complètement le comportement du matériau.
Pendant sa thèse, elle a poursuivi ses travaux en s’intéressant à un nouveau type de matériau, cette fois à la fois antiferromagnétique et ferroélectrique. Autrement dit, ces matériaux ne possèdent pas seulement des pôles magnétiques opposés (nord et sud) qui s’annulent globalement, mais aussi des pôles électriques (plus et moins) organisés selon la structure cristalline. Ces deux ordres — magnétique et électrique — sont intimement couplés à l’échelle atomique.
Son travail a consisté à faire croître ces matériaux sur différents substrats, c’est-à-dire sur des supports aux tailles et contraintes variées. En ajustant la tension entre le film et son substrat, elle a pu modifier la structure du matériau et observer comment ses propriétés magnétiques et électriques évoluaient ensemble. En changeant l’un, l’autre réagit : appliquer un champ électrique, par exemple, peut influencer non seulement les charges, mais aussi l’orientation des pôles magnétiques.
Cette passion du détail, associée à un solide sens pratique, la pousse à aller plus loin. Après la thèse, elle envisage un post-doctorat à l’étranger — le Japon, l’Australie — mais la pandémie de COVID-19 rebattait les cartes. Finalement, c’est à Grenoble, au sein du laboratoire SPINTEC, qu’elle s’installe pour un post-doctorat avant de rejoindre, peu après, l’équipe Capteurs en tant que chercheuse au CNRS.
Caractérisation des capteurs de champ magnétique dans une bobine 3D, discussions scientifiques quotidiennes avec Hélène Béa
Capteurs à magnétorésistance tunnel au milieu de concentrateurs de flux magnétiques pour augmenter leur sensibilité. Développement d’un capteur pour l’exploration de l’espace en collaboration avec le CNES.
Banc de mesure de bruit pour la caractérisation des capteurs de champ magnétique.
La spintronique, contraction de « spin » et « électronique », est un domaine en plein essor. Elle étudie le spin des électrons — une propriété quantique liée au magnétisme — pour développer des composants plus rapides, plus économes et plus compacts. Un champ où la physique fondamentale rencontre l’innovation technologique.
Johanna y trouve un terrain de jeu idéal. Ses recherches portent désormais sur les capteurs de champs magnétiques, éléments discrets mais omniprésents dans notre quotidien : voitures, téléphones, IRM, systèmes de navigation…
On trouve des capteurs magnétiques partout, souvent sans s’en rendre compte. Pouvoir les améliorer grâce à des concepts venus de la recherche fondamentale, c’est passionnant.
Son objectif : concevoir des capteurs plus sensibles, moins bruités, capables de détecter des signaux extrêmement faibles — un défi à la croisée de la physique des matériaux et de l’ingénierie.
SpinFab, un projet collectif
Au cœur de ses travaux actuels, le projet SpinFab inaugurée cette année, incarne cet esprit d’innovation et de collaboration. Cette ligne pilote permet de fabriquer des dispositifs spintroniques sur de grands wafers, en combinant plusieurs techniques avancées.
Johanna y encadre désormais une doctorante, en co-direction avec Hélène Béa, Enseignante Chercheuse à SPINTEC, autour d’un objectif : d’augmenter la détectivité des capteurs en optimisant la gestion du bruit , de manière à améliorer la sensibilité de détection des signaux faibles, en particulier dans le cadre d’applications spatiales
C’est un équilibre délicat entre sensibilité et bruit : un capteur très sensible capte tout, y compris le bruit. Le but, c’est de trouver le juste milieu.
La chercheuse s’enthousiasme aussi pour le projet VERTICAL, qu’elle coordonne, dédié à la détection de l’activité neuronale grâce à des capteurs magnétiques tridimensionnels. Une initiative qui réunit physiciens, électroniciens et neuroscientifiques : un bel exemple de recherche interdisciplinaire. Johanna Fischer est également impliquée dans plusieurs projets du PEPR SPIN : le projet ciblé ADAGE, copiloté par Myriam Pannetier-Lecoeur ; le projet Acouskyr, issu de l’Appel à Projets ANR 2024 du Programme de Recherche SPIN (AAP) et consacré aux skyrmions, copiloté par Hélène Béa ; ainsi que le projet MASKY, dernier né de l’AAP du PEPR DIADEM.
Groupe capteur à SPINTEC
Microscopie optique à effet Kerr pour visualiser les domaines magnétiques
Planification de la croissance des échantillons dans la nouvelle machine de pulvérisation, pièce maîtresse de la ligne pilote
Lauréate du prix Jeune Scientifique de l’EMA
Récompensée récemment du prix de Jeune Scientifique de l’EMA, qui est une distinction que chaque année, l’European Magnetism Association (EMA) donne aux jeunes chercheurs européens pour l’excellence de leurs travaux en magnétisme, qu’ils soient fondamentaux ou appliqués. Le Prix du Jeune Scientifique récompense un lauréat ayant soutenu sa thèse depuis moins de cinq ans et s’inscrit dans la mission de l’EMA de soutenir les nouvelles générations de scientifiques et d’ingénieurs. Il complète le Prix Dominique Givord, remis tous les trois ans à une personnalité marquante de la communauté du magnétisme en Europe.
Johanna Fischer a été récompensée, le 27 aout 2025, à l’occasion du Joint European Magnetic Symposia (JEMS), la plus grande conférence européenne consacrée au magnétisme. Cet événement annuel réunit la communauté scientifique autour des avancées majeures du domaine — des recherches fondamentales aux applications les plus innovantes. En tant que lauréate, Johanna a présenté un exposé plénier lors de l’édition 2025.
Pour elle, la réussite ne se mesure pas seulement en prix ou en publications, mais aussi dans la qualité des échanges et des collaborations.
À SPINTEC, j’ai vraiment trouvé une communauté. On partage les machines, les idées, les erreurs. C’est un environnement qui ressemble plus à une famille qu’à un labo.
Interrogée sur l’avenir de la spintronique, elle insiste sur la nécessité d’un esprit critique, notamment face à l’émergence de l’intelligence artificielle dans la recherche. Loin d’en rejeter l’usage, elle y voit un outil puissant à condition de rester vigilant.
L’IA peut aider à écrire, à corriger, à analyser. Mais il faut garder un regard humain, savoir quand elle se trompe. La science doit rester une démarche critique.
« Rien de tout cela ne se fait seule »
Pour Johanna, la recherche reste avant tout une aventure humaine. Chaque avancée est le fruit d’un travail collectif, d’échanges constants avec ses collègues, ingénieurs, doctorants et partenaires. C’est cette dynamique d’équipe, faite de partage, de curiosité et de coopération, qui nourrit au quotidien sa passion pour la science.
Combinaison de la microscopie à effet Kerr (image des domaines magnétiques) avec les mesures de détectivité du capteur à Skyrmions. Collaboration avec les collègues Myriam Pannetier-Lecoeur, Aurélie Solignac, Claude Fermon et Mariana Caseiro, du LNO/SPEC et Alexandra Mougin du LPS à Saclay.
À droite, l’équipe vue de la perspective de la manipe. À gauche, l’équipe au travail, accompagnée de la direction du laboratoire et l’autrice de l’article.