Bernard Dieny, chercheur au CEA et figure majeure du laboratoire SPINTEC et lauréat de plusieurs prix, a été nommé Chevalier de la Légion d’Honneur et a été décoré de la médaille par Jean-Paul Duraud membre du bureau national de la SFP, ce jeudi 5 juin 2025. À travers cette distinction, c’est l’ensemble de sa carrière et de ses contributions à la recherche scientifique qui sont saluées. Le programme de recherche SPIN souhaite, à cette occasion, mettre en lumière le parcours remarquable de ce chercheur passionné
Le parcours de Bernard Dieny
Depuis son plus jeune âge, Bernard Dieny se distingue par une curiosité insatiable pour les sciences. Il raconte ses premières expériences menées avec son frère autour d’un train électrique, où ils s’initiaient déjà à la rigueur des montages et aux subtilités de l’électricité. Ces jeux d’enfants se sont vite mués en vocation.
C’est donc tout naturellement qu’il s’oriente vers la recherche scientifique en intégrant l’École Normale Supérieure de Cachan. Là, il croise le chemin d’Albert Fert, futur Prix Nobel de Physique en 2007 sur la découverte de la GMR ainsi que celui d’Alain Aspect, futur Prix Nobel de Physique, dont les cours captivants et leur goût communicatif pour la recherche marqueront profondément son approche de la physique.
Bernard Dieny choisit ensuite de réaliser une thèse à fort contenu fondamental à l’Institut Néel de Grenoble, consacrée au magnétisme des systèmes amorphes, à la croisée du magnétisme et de la physique statistique des systèmes désordonnés. Cette expérience très positive de 3 années en recherche l’a convaincu avec les encouragements de son directeur de thèse de continuer dans cette voie.
Aux États-Unis : l’aventure IBM et les vannes de spin
Il saisit alors l’opportunité de partir aux États-Unis pour intégrer le centre de recherche IBM à Almaden, peu après la découverte révolutionnaire de la magnétorésistance géante (GMR) par Albert Fert et Peter Grünberg, qui leur vaudra le Prix Nobel de Physique en 2007.
À cette époque, IBM mise sur cette avancée pour améliorer les têtes de lecture des disques durs. La mission confiée à Bernard Dieny est alors ambitieuse : identifier des matériaux capables de produire un effet GMR dans des champs magnétiques mille fois plus faibles que ceux initialement observés. En quelques mois, il met au point les « vannes de spin », des structures innovantes composées de couches magnétiques et non magnétiques de quelques plans atomiques d’épaisseur, chacune remplissant une fonction bien spécifique. Cette avancée ouvre la voie à l’essor de la spintronique et à son intégration dans des produits technologiques grand public.
SPINTEC : la création d’un pôle d’excellence en France
Avec le recul, Bernard Dieny constate que la révolution technologique initiée par la découverte de la magnétorésistance géante a davantage profité à d’autres pays comme les USA, Japon, Corée du Sud, Singapour, qu’à ceux des découvreurs. De cette observation est née la volonté de créer en France un laboratoire couvrant toute la chaine de la recherche fondamentale à la valorisation industrielle entièrement dédié à la spintronique.
Ce projet devient réalité en 2002, avec le soutien du CEA, du CNRS et de l’Université Grenoble Alpes. Aux côtés de Jean-Pierre Nozières, il fonde le laboratoire SPINTEC, aujourd’hui reconnu comme un acteur international de premier plan dans ce domaine stratégique.
Regards sur les défis actuels de la recherche
Interrogé par le programme de recherche SPIN sur sa vision de l’évolution actuelle de la recherche, Bernard Dieny livre une réflexion lucide sur les défis contemporains.
« Ça va trop vite par rapport au temps d’adaptation de la société » L’accélération du numérique, marquée par l’essor des réseaux sociaux puis de l’intelligence artificielle, inquiète quant à ses impacts sociétaux: diffusion massive de fausses informations, polarisation des sociétés, santé psychique des jeunes. Les sociétés ont du mal à s’adapter et faire un bon usage de ces nouvelles technologies tant elles se développent vite.
La production de dispositifs moins énergivores comme les dispositifs spintroniques est en soi louable. Le problème est que ceci engendre souvent un effet rebond avec l’apparition de nouveaux usages diffusés dans la société à grand renfort de publicité ce qui in-fine conduit à une augmentation de la consommation globale. Face à cela un manque de conscience collective autour des enjeux écologiques., Bernard souligne le rôle essentiel des scientifiques dans la transmission des messages :
« Nos conférences internationales sont des lieux d’échange qui réunissent des chercheurs, chercheuses et ingénieur(e)s du monde entier. Nous devrions réserver une partie de ces événements pour échanger collectivement sur ces problèmes de développement durable afin de sensibiliser et harmoniser les niveaux de conscience à l’échelle mondiale. Profitons du fait que nous travaillons à l’international pour dépasser le cadre des actions individuelles et essayer d’agir plus globalement».
La spintronique : un levier pour l’électronique durable
La spintronique, en tant que technologie capable de réduire significativement la consommation énergétique grâce à la manipulation du spin des électrons, représente une piste d’avenir prometteuse.
« J’ai confiance qu’elle va se répandre de plus en plus dans la communauté de la microélectronique » Toutefois, Bernard Dieny reconnaît que de gros efforts reste à faire pour élargir l’adoption des technologies spintroniques dans l’industrie microéectronique. Il faut, selon lui, rassurer les indstriels sur l’innocuité des champs magnétiques appliqués aux puces spintroniques, et leur proposer des solutions adaptées à leurs besoins. Il insiste sur l’importance du dialogue avec le monde industriel pour favoriser l’adoption de ces innovations.
Un autre levier essentiel au développement de la spintronique réside dans la pédagogie. Bernard pointe un manque de formations en magnétisme et en spintronique dans les cursus actuels de microélectronique. Il est crucial, selon lui, que les futur·e·s ingénieur·e·s soient familiarisé·e·s avec ces disciplines afin de les appréhender sereinement et sans appréhension.
La recherche en spintronique bénéficie aussi d’un atout majeur : la solidité de ses modèles physiques, qui permettent de prédire de manière fiable le comportement des composants. Cette capacité de simulation facilite l’optimisation des dispositifs et accélère leur développement.
Même si certains freins subsistent, notamment dans la montée en maturité technologique (ou TRL), la dynamique commence à évoluer. De plus en plus de start-ups se lancent dans le domaine, à l’image de Nellow ou Golana Computing. Et à l’échelle européenne, les signaux sont encourageants : en Allemagne, par exemple, des capteurs spintroniques sont déjà intégrés dans le secteur automobile.
Biologie et magnétisme : une nouvelle frontière
Aujourd’hui, Bernard Dieny poursuit ses recherches dans une nouvelle direction, au croisement du magnétisme et de la biologie, avec des applications prometteuses en santé. Il utilise des nanoparticules magnétiques dispersées parmi les cellules et soumises à des champs magnétiques extérieurs pour exercer de façon locale, ajustable et contrôlée des stress mécaniques sur les cellules. Ceci permet par exemple de déclencher la mort de cellules cancéreuses de pancréas sans affecter les cellules saines. Cette thématique couplant magnétisme et mécano-biologie pourrait bien ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques contre le cancer, le diabète et les maladies neurodégénératives.
Ce que l’on peut retenir de Bernard Dieny : repères d’une carrière d’exception
Au-delà de ses intuitions de chercheur et de ses engagements pour une science responsable, Bernard Dieny laisse une empreinte profonde dans le monde de la recherche. Quelques chiffres-clés permettent de mesurer l’étendue de ses contributions :
> Plus de 500 publications scientifiques > 20 chapitres de livres spécialisés > 78 brevets déposés > Un indice h de 68, reflet de l’impact académique de ses travaux > L’encadrement de plus de 50 doctorant·e·s et 80 postdoctorant·e·s > Lauréat de 2 ERC Advanced Grant > Et de 3 ERC Proof of Concept
Un parcours à la fois scientifique, pédagogique et innovant qui illustre l’engagement de toute une vie au service de la physique et de ses applications concrètes.
Conclusion : une conscience tournée vers l’avenir
Pour conclure, lorsqu’on lui demande ce qu’il dirait à son lui d’il y a dix ans, Bernard répond qu’il insisterait davantage sur l’importance du développement durable. Pour lui, il est essentiel de garder en tête la nécessité de préserver la planète, quel que soit le progrès technologique accompli.
Le programme de recherche SPIN tient à exprimer sa profonde gratitude à Bernard Dieny pour la richesse de ses enseignements, la valeur de ses recherches et la qualité des conseils qu’il prodigue chaque jour pour faire progresser le monde scientifique. Nous lui adressons toutes nos félicitations pour cette reconnaissance marquante, amplement méritée.
Revivez la cérémonie en images ci-dessous capturés par Pierre Jayet.